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Ainsi que le redoutait le Magnifique, l’entente cordiale entre ses « ministres » et l’équipe de Dragomir menaçait de tourner en eau de boudin. La nouvelle de la mort du chef de bande avait jeté un froid. Un seul être vous manque… Aux Sablières, la météo était plutôt maussade. Boubakar avait bien tenté de resserrer les boulons, convoquant tour à tour chacun de ses ministres. Il leur avait tenu un discours musclé, à la Tony Montana, dans son époque ascendante, conquête de la Floride, avec palmiers, piscine dallée de marbre et limousine climatisée…
– On va quand même pas se faire entuber par ces connards de yougos !
Tel était son leitmotiv.
Bien sûr. Mais les vieux copains de l’école primaire Makarenko savaient parfaitement à quoi s’en tenir. Les yougos complotaient dans leur coin. Ce qui les tourmentait, c’était que les ministres régnaient sur le cheptel des gazelles, toujours aux petits soins, et bon, à force, fatalement, des liens affectifs s’étaient noués, et même une amourette par-ci par-là – mais oui, c’était humain –, alors que les sbires de Dragomir avaient dû se contenter des tâches subalternes, l’entretien des voitures, la surveillance au bois de Vincennes ou sur les Maréchaux, si bien qu’au finish ils sentaient que le trésor risquait de leur échapper.
Tout ça ne tenait qu’à un fil. Une petite susceptibilité de part et d’autre et tout risquait de virer à la zizanie. Du côté des gazelles aussi, ça tanguait ferme. Elles préféraient avoir affaire à leurs « frères de couleur » plutôt qu’aux tortionnaires de Dragomir… Il y avait comme du vinaigre dans le cocktail, et Boubakar avait beau agiter le shaker dans tous les sens, le brouet était toujours aussi infect.
Parmi ses ministres, un certain Mamadou était le plus remonté. Il n’avait pas inventé l’eau chaude mais savait tenir ses comptes. Depuis des mois, il avait garanti ses arrières. Quatre des gazelles étaient d’ores et déjà OK pour bosser à son profit exclusif. Il leur avait promis de les embarquer au soleil, du côté de la Côte d’Azur, une contrée moins tristounette que Certigny. Un vrai coin de richards. Au lieu de les déguiser en femelles de la brousse comme au bois de Vincennes, il leur avait fait miroiter un bon plan show-biz, strass et paillettes, avec numéro de strip-tease dans les casinos, ou au pire, si ça marchait pas, une seule pipe avec un vioque qui pouvait à peine bander, et elles gagneraient plus qu’en une semaine aux abords du lac Daumesnil ! Et en cadeau, terminée l’arnaque sur la conversion euros-CFA pour les mandats expédiés au village ! Le marabout ? Il leur assurait qu’il était de son côté.
Comment résister ? Les gazelles étaient partantes. Mais chut ! Pas un mot à Boubakar !